Infantilisation (Mathieu Laine)
Avancer en âge offre le privilège d’accumuler les expériences et les observations de la nature humaine. S’il y a une chose que j’ai compris depuis toutes ces années, c’est que les situations d’emprise nécessitent un bourreau et une victime. Le jour où la victime sort du cercle, refuse son statut et prend son envol, le bourreau n’existe plus : il s’agit d’un système.
Dans Infantilisation, Mathieu Laine décortique avec brio non seulement ces multiples situations qui ont conduit l’État français à un rôle de “mère obèse qui (…) à force de refuser de donner des ailes à ses petits, (…) engendre [une société] victimaire, plaintive, geignarde” (à l’image de ces étudiants qui souffrent le martyre d’être enfermés dans leurs chambres individuelles, chauffées, avec accès internet et plaques de cuisson). “Cette société peut aussi devenir violente, les enfants exagérément couvés manifestant par toute une série de troubles bien connus des psychiatres leur désir d’émancipation”, de préférence dans l’incohérence, qui a conduit les gilets jaunes à réclamer plus de protection et moins de taxes.
Mathieu Laine décrit donc un processus : d’une part un État qui, par l’intermédiaire de bureaucrates papivores avides d’œuvrer pour “notre bien” rogne chaque seconde sur notre esprit critique, nos libertés, notre responsabilité individuelle et presque, c’est semble-t-il l’opinion de l’auteur et c’est la mienne, tout ce qui fait l’essence même de l’individu et d’autre part, un peuple consentant qui se soumet aux informations bienveillantes, aux incitations à “bien” se comporter, renonçant à la responsabilité en échange d’un peu plus de paternalisme, “nourri de précautionnisme, de sécuritarisme et d’hygiénisme [nous poussant] chaque jour davantage à nous lier les mains [transformant] notre environnement en une grande nurserie désinfectée présumant les citoyens irréfragablement coupables” (irréfragable, c’est lorsqu’on ne peut pas (au sens d’interdiction) prouver le contraire). “Cert interventionnisme rampant”, écrit-il, “prétextant agir pour “notre Bien”, nous accoutume à vivre moins libres et à réclamer toujours davantage de protection”.
Il n’est pas du tout question dans cet essai de remettre en cause le rôle de l’État dans la gestion de la pandémie actuelle, mais plutôt de nous interroger sur nos renoncements, notre soif de sécurité absolue et notre propension à nous en remettre pour toute chose à l’État, et, surtout, leurs conséquences. Où cette abdication de notre esprit critique, cette capitulation devant le politiquement correct, cette incapacité grandissante à accepter l’altérité dans ce qu’elle a, parfois, de choquant ou d’offensant peuvent-elles nous conduire ?
C’est un ouvrage savant, truffé de citations et de bons mots, parfois espiègle, parfois pontifiant, qui témoigne d’une agilité intellectuelle rafraichissante et d’un esprit critique nécessaire à notre époque. Nul appel imbécile à une rébellion adolescente qui témoignerait de l’immaturité de ses défenseurs, nul constat sans appel d’une société qui se dirige droit dans le mur. Mathieu Laine nous rappelle que nous, chacun de nous, avons une responsabilité dans cette déresponsabilisation, les moyens d’y faire face et de renverser la vapeur. C’est un appel à la mesure, destiné aux gouvernants, aux médias mais surtout à nous, à chacun de nous.
Refuser “ce pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer [notre] jouissance et de veiller sur [notre sort]” décrit par Tocqueville, “mesurer ce qui se joue, les nouvelles routes de la servitude”.
“Certains partis se nourrissent de nos faiblesses, de nos renoncement comme de nos lassitudes, mais aussi des habitudes que nous finissons par prendre. Proposant toujours plus de sécurité, de contrôle, de dureté, se montrant dans le même temps – car les paroles ne coûtent rien – plus généreux, plus protecteurs, plus maternants, ils font commerce de nos peurs et rivalisent de pensée magique”.
Infantilisation est un ouvrage nécessaire. “A l’heure de l’information, l’ignorance est un choix”, dit-on. Lequel ferez-vous ?