Le gardien invisible (Dolores Redondo)
Il y a beaucoup de bonnes choses, dans ce roman policier.
- Le style, d’abord, est agréable à lire, avec de jolies réflexions :
Parfois (…), le rejet ne vient pas de celui qui reçoit, mais de celui qui se sent étranger.
(…) pendant qu’ils s’aimaient de cette façon chaude et liquide où les bouches ne suffisaient plus.
Mon ventre n’était pas le berceau, mais la tombe de mes enfants. - La structure est très classique, avec tous les ingrédients du polar, y compris “the dark night of the soul” chère à Blake Snyder. Ce qui donne un rythme à l’intrigue, avec des moments de tension et des moments d’apaisement.
- Les personnages sont plutôt intéressants, très travaillés à défaut d’être attachants. Je n’ai pas réussi à entrer en empathie avec eux, à compatir à leurs malheurs sauf, peut-être, fugacement, avec une mère qui venait de perdre son enfant et criait sa douleur. Je pense que la raison est double : j’ai trouvé que leurs états d’âme étaient trop étalés et parfois franchement ennuyeux, d’une part et d’autre part, que leurs actions étaient trop décrites et pas assez suggérées. J’ai bien conscience néanmoins que, d’une part c’est un exercice difficile sur lequel les auteurs de polar ne sont pas forcément attendus et d’autre part qu’il y a un véritable effort de l’auteur pour gommer cette tendance. Je ne serai pas étonnée que ça s’améliore au fil des romans, parce qu’on sent que c’est un point travaillé.
- L’intrigue est de facture plutôt classique, avec une alternance de déroulé chronologique, choral (bien que l’on suive de manière dominante l’enquête de la protagoniste, Amaia Salazar). Pour pimenter le tout, on a des détails atypiques (le petit gâteau déposé sur le pubis de la petite victime) et un environnement original, la vallée du Baztàn, à mi chemin entre Biarritz et Pampelune, (ou Saint Jean Pied de Port et San Sebastian) en plein cœur du pays basque. Mais le pays basque, version authentique, pas celui des jolies fermes restaurées louées à des touristes parisiens sur AirBnB d’Ascain ou d’Itxassou.
Si j’ai bien aimé ce roman, j’ai été dérangée par plusieurs points, à mon avis dus à la jeunesse (en écriture) de l’auteur :
- les états d’âmes des divers protagonistes. J’aime bien savoir ce qu’ils ont dans la tête, mais à ce point, c’est un peu trop. J’aime que les états d’âme éclairent les actions et les décisions des protagonistes, pas qu’ils deviennent des scènes à eux-tout seul.
- les leçons. Si j’aime apprendre, je n’aime pas les cours magistraux. Et dans Le gardien invisible, on a parfois des pages et des pages de monologue pour expliquer ceci ou cela. J’ai zappé.
- corollaire de ma remarque ci-dessus : la pléthore de thèmes Qui trop embrasse mal étreint, raconte la sagesse populaire, et elle a raison. Il y a des auteurs qui peinent à trouver l’inspiration. Et ceux qui ont mille idées qui pourraient se greffer sur leur embryon d’histoire. Le travail d’auteur c’est aussi de savoir ne garder que la substantifique moelle. Ca n’a pas été le cas et parfois, le roman part dans toutes les directions, et il devient difficile ou pénible de suivre le fil. Ca n’est pas au point de plomber mon avis sur le livre, mais c’est un souci récurrent – à voir là encore s’il s’agit d’une “erreur” de jeunesse.
En conclusion, je souhaite souligner d’abord que c’est un roman policier très agréable à lire, qui fait partie des 10% de bons polars que je recommande, et une auteur que je vais, sans conteste, suivre.