Alice (Heidi Perks)
Selon toute probabilité, mon dernier coup de cœur de l’année. Et pour une fois, c’est plutôt sur la technique que j’ai été bluffée.
L’histoire (c’est à dire le déroulé des événements) n’est pas d’une grande originalité. Alice commence par la disparition d’une petite fille que sa mère a confié à une copine avant de déraper ensuite vers autre chose, avec des virages à 180 degrés aux points cruciaux du roman.
L’intrigue, quant à elle, est ce qui a retenu mon attention. L’intrigue, c’est la façon de raconter l’histoire. Et Heidi Perks, à partir d’une histoire plutôt banale, livre une intrigue oppressante et mystifiante, au cours de laquelle le lecteur sent progressivement monter la tension et un sentiment de malaise, avant de faire défiler les pages avec perplexité. Que se passe-t-il ensuite, bon sang ?
Le style est agréable, sans aspérité. Il témoigne d’une exceptionnelle maitrise de la narration, sans lourdeur, sans temps morts, avec cette capacité de décrire par petites touches les paysages comme les émotions.
Les personnages sont l’autre gros morceau de ce roman. Ils ont été travaillés, polis, avec une précision qui tiendrait presque du documentaire tellement l’auteur les livre dans leur complexité, dans leur réalité et aussi leurs contradictions. J’étais dans la tête de Charlotte, cette mère à qui on confie un enfant, harcelée par ses propres petits, qui s’accorde quelques minutes à elle avant de s’apercevoir qu’elle a perdu Alice. J’ai ressenti tout le désarroi de Harriett, son sentiment grandissant de devenir folle. Je me suis interrogée, comme les policiers. Et j’ai lu Alice en deux jours. Bien sûr, l’histoire n’est pas très originale, mais lorsqu’on est dedans, à chaque “carrefour” de l’intrigue, toutes les options sont ouvertes et bien malin qui peut prédire à chaque instant la direction dans laquelle l’auteur va l’entraîner.
Enfin, Alice est une critique sociale toute en nuances, acerbe avec finesse, acide avec parcimonie, qui décrit une réalité trop trop souvent occulté, ignorée, méprisée.
Alice témoigne d’une maitrise de la langue et de la structure narrative plutôt exceptionnelle. Comme tous les thrillers psychologiques, il se concentre surtout sur les réactions des personnages aux événements qui surviennent, si bien qu’il ne faut pas en attendre un rythme soutenu. C’est un bijou de tension dramatique et lorsqu’on commence à entrevoir ce que les personnages nous cachent, paf ! on passe à une autre question, une autre attente, une autre tension.
J’ai rarement rencontré cette brillance dans la construction, cette capacité à s’approprier les techniques pour leur redonner le rôle qu’elles sont censées tenir : celui de squelette invisible d’un corps en mouvement.