Coups de vieux (Dominique Forma)
Un polar jubilatoire, des protagonistes improbables, une écriture impeccable. Coups de vieux, de Dominique Forma, est un remède imparable à la morosité, une ode à l’âge qui passe et un appel à jouir du présent.
Résumé
Ils ont passé l’âge…
Si ce n’est de faire justice eux-mêmes.Ils ont passé l’âge… Si ce n’est de faire justice eux-mêmes. Clovis le facho et André le gaucho. Deux frères ennemis à la longue histoire de coups tordus.
Le soir tombe sur Le Cap d’Agde. André, la soixantaine, s’aventure dans les dunes des échangistes. Bientôt, il aperçoit l’objet de ses fantasmes : une belle femme nue allongée sur le sable. Il s’approche. Son désir s’éteint aussitôt : la belle est morte, assassinée.
Craignant de devenir le suspect n° 1, André appelle Clovis à la rescousse. Avec l’aide d’Alexe, une libertine craquante, le duo improbable Algérie française et Gauche prolétarienne débute une sulfureuse enquête parsemée de sang, de sexe et de sales magouilles…
Un roman noir jubilatoire qui transgresse avec brio et impertinence les codes du genre.
Mon avis
Jubilatoire est certainement le mot caractérisant le mieux ce roman court, mettant en scène un ex-journaliste de Libé qui a fait ses classes parmi les gros bras de la Gauche prolétarienne, un pied noir, ancien de l’OAS et une jeune femme délurée qui passe ses étés à distribuer ses charmes dans la Baie des Cochons.
J’ai aimé ce roman parce qu’il m’a fait rire. C’est le premier depuis des années que j’ai envie d’offrir à des tas de gens, mon père, qui fait le même genre de réflexions et mes copains qui, un temps, ont milité à la gauche de la gauche ou à la droite de la droite. Ou même les déçus du socialisme, tiens.
Les meilleurs moments sont les dialogues entre les petits vieux :
“Les mecs de ton bord filent des leçons de morale et des points de bonne conduite en se comportant comme des crevures“.
“Plus tard, lorsqu’il lui aurait été difficile d’abandonner le confort bourgeois du monde occidental, utilisant ses amitiés discrètes avec des membres du tout récent pouvoir socialiste, il commença à produire des documentaires pour la télévision : la boucle se terminait, bientôt, il rêverait d’animer un show ébouriffant sur Canal Plus au lieu de préparer la révolution”.
“T’as plus le ventre ? T’as peur de recevoir des coups, Clovis ? ajoute Jo.
– Par les cocos de la section locale, des pépés qui ont 80 ans ? Ou les morveux en tee-shirt No pasaran, qui découvrent l’Espagne en fréquentant les bordels à la frontière ?”
“Nous sommes du même bord, Jo, pas de la même race”
Des descriptions lapidaires et tellement parlantes :
“La vague migrante, Alexe l’accueille à sa manière, deux ou trois hommes à la fois“.
“Le type démarre en faisant crisser ses pneus, une manière très masculine d’exprimer sa frustration sexuelle“.
“Milke est persuadé d’être plus intelligent que Clovis et habité d’une fibre morale supérieure. Forcément, il est de gauche”.
Et parfois tristes, sans larmoyance :
“Parce qu’il faudrait se souvenir de tous et de chacun d’entre eux. L’arrogance des hommes, de tous les hommes, est sans limite. Chacun de ces types, pris l’un a près l’autre, ne lui procure jamais plus qu’un minuscule plaisir tant ils sont concentrés sur le leur. S’il existait un seul homme au monde pour infirmer cette règle, Alexe ne coucherait pas avec une dizaine d’entre eux chaque soir”.
Ça peut même faire écho à l’actualité :
“Loin de ces jeunes manifestants qui pleurnichent, video en HD sur leur smartphone à l’appui, parce qu’ils ont reçu un coup de matraque dans les pattes ou une lacrymo. Ces soutiens de la révolution viendront bientôt manifester accompagnés de l’avocat de papa”.
Sur le plan structurel, rien à dire. Il faut noter que l’auteur a été scénariste à Hollywood, école de la structure s’il en est.
L’intrigue n’est pas très compliquée, on est presque plus dans le noir que dans le polar, mais elle n’est pas simpliste ni bâclée pour autant, démontrant qu’on peut faire simple sans pour autant insulter l’intelligence des lecteurs par sa propre paresse intellectuelle.
Portée par des personnages hauts en couleurs et pourtant sans aucun brin de caricature, Coups de vieux est un livre qui vaut la peine d’être lu, surtout si tu as plus de 40 ans, que tu as un peu milité ou traîné dans les manifs ou même simplement observé tes pairs haranguer les foules, debout sur la table de ping pong du lycée. On sent une vraie tendresse de l’auteur pour le vieux facho et le vieux coco, pour la jeune belle aussi, qui ne veut pas voir qu’elle est désespérée et porte sur le monde un regard désabusé aussi acide que celui des deux pépés.
On a beaucoup dit que c’était un livre sur la vieillesse, je trouve que c’est surtout un livre sur le temps qui passe, sur les liens qui se créent malgré les principes et sur la liberté d’exister.