Du poison dans la tête (Jacques Saussey)
Invraisemblable. C’est le mot qui m’a collé à l’esprit a partir de la moitié de “Du poison dans la tête” de Jacques Saussey.
Résumé
Le poison, c’est l’autre…
Une femme, en plein hiver, se jette nue dans la Seine.
Un homme qui prend possession de ses victimes, les ruines, puis les oblige à se suicider.
Un colis qui arrive entre les mains de Magne, fait remonter à la surface une affaire de plus de 30 ans.
Comment mener deux affaires de front, quand votre vie perso part en vrille ?
Mon avis
Je ne vais pas te la faire à l’envers, c’est très déçue que j’ai refermé ce nouvel opus des aventures de Lisa et Daniel.
Il y a du bon, ne t’y trompe pas :
- C’est bien écrit. Rien à dire sur le style, il se fait oublier, exactement ce dont on a besoin pour un polar.
- C’est construit : plusieurs histoires s’entrecroisent pour aboutir à la conclusion
- On rigole en douce, avec le lieutenant Ronek, vieux flic à la retraite ou le “capitaine Tackian, un arménien impressionnant haut d’un mètre quatre vingt-dix et lourd de cent vingt kilos”.
- Il y a la volonté d’écrire sur un thème : celui des violences faites aux femmes, dénoncées en début de roman ; et en particulier ceux qu’on nomme les pervers narcissiques, qui réussissent, avec les mêmes procédés que les sectes, à assurer une emprise sur leur victime, en envahissant progressivement leur esprit, jusqu’à en prendre plus ou moins totalement le contrôle.
C’est sur cette promesse que j’ai acheté le livre. Le sujet m’intéresse principalement parce que j’ai été une de ces victimes, celles qui se font progressivement couper de leur famille, de leurs amis, et dont le libre arbitre et l’esprit critique – que tu sais pourtant bien acéré – sont progressivement réduits à néant. J’ai été de ces victimes et je m’en suis sortie, mais ayant vécu l’histoire de l’intérieur, je m’y intéresse en tant que spectatrice.
Làs. Du poison dans la tête évoque le destin d’une femme qui a été abusée, évoque la famille d’une femme qui a été sous emprise, laisse la parole, pendant quelques scène à un abuseur qui réfléchit à comment jeter ses filets sur sa victime et la ramener dans sa nasse sans qu’elle ne s’en rende compte. Mais ça ne marche pas. Ou, en tous les cas, ça n’a pas marché pour moi.
Qui trop embrasse mal étreint, dit la sagesse populaire et à vouloir trop en dire, peut-être, Du poison dans la tête part dans tous les sens et se retrouve sans colonne vertébrale, c’est à dire sans UN thème central dont chaque scène va être un petit morceau. On navigue d’une histoire à l’autre sans trop comprendre où veut nous emmener l’auteur. On ferme le livre sans en savoir plus.
Enfin, la multiplicité des “coïncidences troublantes” n’est pas digne du professionnalisme de l’auteur. Choper un braconnier à 300 km de son domicile, à proximité d’un centre de la police nationale, faire ce qui est fait et oublier d’en parler ? Sérieux ? Retrouver immédiatement la piste d’un gamin volé des années avant ? Avoir une jeune sœur sortie de nulle part et comme par hasard victime des agissements d’un vilain méchant ? Le travail d’enquête est complètement baclé. A peine les flics grattent-ils la surface, la première qui leur tombe sous la main ou pas loin, qu’ils trouvent. Ou alors, ils transgressent la loi et ils trouvent, à croire que pas un bon flic ne peut travailler en restant dans les clous (ne te méprends pas, je comprends qu’ils ne soient pas toujours le petit doigt sur la couture du pantalon, mais faut pas pousser non plus).
Ca ne serait pas grave si le livre véhiculait un message, une émotion, faisait vivre une expérience au lecteur. Par exemple en le faisant rentrer dans la tête du bourreau, non pas en détaillant son plan d’action, mais en faisant ressentir son excitation, son plaisir, sa pulsion. Par exemple en lui faisant ressentir la terreur de la victime. Ou son grand calme intérieur. Ou sa souffrance. Le phénomène de l’emprise, en particulier, est particulièrement intéressant, parce qu’il fonctionne à la manière d’une araignée tissant sa toile. Pain béni pour auteur de roman noir.
Hélas, pourtant particulièrement concernée a priori par le sujet, je ne l’ai été à aucun moment par cet ouvrage, parce qu’à aucun moment je n’ai rencontré de personnage victime de cette emprise.
La descente aux enfers de Myriam aurait pu être édifiante, elle n’est que descriptive. Je ne comprends toujours pas comment elle a pu en arriver là.
L’histoire de cette femme roumaine aurait pu être touchante – son histoire est déchirante. Mais son exposition est si plate, si racontée, que je suis restée la spectatrice un peu désabusée d’un énième drame du genre. J’aurais aimé, par exemple, ressentir sa souffrance et pas qu’on me dise qu’elle souffre. Ça n’est pas arrivé.
L’obsession de Magne aurait pu être étouffante pour le lecteur, elle aurait du être étouffante pour le lecteur – il perd tout sens commun, plus rien n’a d’importance que la résolution de ce vieux crime. Là, je ne la comprends pas. Je ne comprends pas ce qui conduit ce vieux briscard de la police à agir comme il agit. Qu’il s’agisse de son premier amour ne peut pas à lui seul expliquer ses actions. Ou alors c’est juste un gros naze, mais je ne pense pas que ce soit le souhait de l’auteur.
Bref, bien que ce livre ait des qualités, je suis restée sur ma faim, je pense à ce qui aurait pu et à ce qui n’a pas été. Tout au long du roman, je n’ai été que la spectatrice un peu distante, jamais habitée par un sentiment d’urgence, de proximité ou d’appartenance, ce que je recherche avant tout dans une histoire. Si vous aimez les déroulés cliniques, Du poison dans la tête est fait pour vous. Si comme moi, vous voulez sentir battre le cœur de l’histoire entre vos mains, si vous voulez que ça crie, que ça se débatte, que ça survive, je ne suis pas certaine que vous accrochiez.
décembre 8, 2019 @ 12:37
Un commentaire particulièrement intéressant. Je crois qu’il est pratiquement impossible pour un auteur de se mettre réellement dans la tête d’un pervers narcissique, à moins de l’être au moins un peu soi-même, et très compliqué de se mettre dans celle de sa victime.
Peut-être faudrait-il être psy ou ancienne victime avec la force de caractère et une remarquable capacité d’analyse pour s’y risquer avec succès.
Heureusement, j’espère, la plupart des lecteurs et des lectrices n’ayant rien vécu de tel, ils n’y verront que du feu.
En revanche, je note avec beaucoup d’intérêt vos remarques sur les clichés et les grosses ficelles employés par l’auteur : enquêteurs trop chanceux, anciens amis ou famille perdus de vue et plus ou moins liés à l’affaire, etc. C’est devenu monnaie courante, en particulier (je pense) lorsque l’auteur exploite un enquêteur récurrent et qu’il doit faire du volume (les livres peu épais ont un rapport prix/poids défavorable !).
Si j’étais auteur, je noterais dans un coin de ma mémoire (et sur un petit papier, on ne sait jamais) la quasi totalité de vos griefs à propos de ce roman.